[Jaraell Urdighis] Le retour du Serpent.

Douleur. Piétinements, ahans et souffles courts. Odeurs désagréables de bois brûlé et d’eau salée. Vrombissement de flammes gigantesques et furieuses, alimentées par la bise froide et iodée qui remonte des frontières de la mer. Craquement et plainte des épaisses poutres qui tombent avec un bruit assourdissant dans des eaux noires et inhospitalières. Le rire sarcastique d’un homme. Nausées… tourbillons inlassables du vertige qui emportent avidement les sons et les images vers un puits de noirceur insondable. Douleur.

Elle cria. Un cri d’une terreur indescriptible qui déchira l’espace autour d’elle et percuta sa conscience endolorie. Elle se redressa, raidie par une frayeur sans nom, des gouttes de sueur glissant sur ses joues blafardes. Elle cria, haletante, les yeux écarquillés d’effroi, ses mains crispées tendues devant elle, ainsi qu’une naufragée s’accrochant désespérément à une épave providentielle. Puis le cri perdit de sa puissance et mourut dans sa gorge rauque et douloureuse. Elle toussa, gémissante, gênée par ses sanglots. Le voile d’obscurité se déchira devant son regard larmoyant, encore assombri d’une inconscience agitée, l’extirpant de la gangue de cauchemars immondes qui étreignait son esprit enfiévré, tels des tentacules visqueux. Un soupir oppressé, elle retomba lourdement sur les oreillers, sa face au masque morbide tournée vers les contours flous d’une silhouette assise à son chevet.

- N-Nakhti… ?
- Calmez-vous. Vous ne courez plus aucun danger.

Non… ce n’était pas la voix de l’Elonien. Elle frémit, percevant contre ses tempes les battements sourds de son cœur. Elle porta une main aux doigts engourdis à son épaule droite… entourée d’un épais bandage. Elle cligna des paupières, écoutant cette voix basse, douce, qui s’échappait de lèvres qu’elle ne distinguait pas dans cette pénombre intime. Elle leva des yeux hagards, fiévreux, sur le visage aux contours floutés tourné vers elle. La lumière timide d’une bougie éclairait sa face. Elle eut un bref mouvement de recul et se figea, la souffrance vrillant les parois de son front. Ses mâchoires se crispèrent sous le pic de douleur qui harcela son épaule meurtrie et elle ferma les paupières, se recroquevillant sous les couvertures.

- Allons. Ne craignez rien. Vous êtes en sécurité, en ces lieux.

Les Terres maléficieuses d’Orr ! Perchée sur un petit tertre de rocaille, deux fragments de carte rescapés dans une main, Jaraell se retourna en chancelant et contempla l’obscure vallée qui s’étendait à ses pieds. La pluie avait cessé et le soleil crevait de ses rayons blafards les lourds nuages verdâtres qui se bousculaient mollement vers l’Est. Ainsi accroché au faîte des inquiétantes collines narguées d’effilochées violacées, le ciel bas avait des airs de temple impie aux colonnes d’or corrompu et de brume. « Où es-tu, Nakhti… ? » Un rictus las, triste, étira ses lèvres sèches, animant un fugitif instant les traits de son visage amaigri. Poussant un soupir qui se voulait affermi, elle se détourna de sa contemplation méditative et poursuivit son échappée, dévalant la pente au risque de se rompre le cou.

Elle perçut les relents acres de fumées lointaines bien avant d’en apercevoir les colonnes vertes et noires, qui alarmèrent ses sens et l’incitèrent à ralentir sa foulée.

Prudente, l’Elonienne s’élança au sommet d’une basse colline. Se dissimulant dans l’ombre d’un étroit bosquet, elle s’accroupit au pied d’un vieux chêne au tronc rabougri, dévoré par les vers, et observa le campement en contrebas, réduit en vestiges fumants. « Des alliés… ? » La peur s’empara d’elle, l’enveloppant dans une gangue de glace tandis que ses yeux erraient sur le terrifiant spectacle qui s’offrait à elle. Elle fut d’ailleurs surprise par la violence de l’émotion qui remua son cœur. Elle n’était guère habituée à se laisser ainsi submerger par des sentiments aussi négatifs. « Orr et sa corruption m’ont affectée plus que je ne l’aurais crû… » Des squelettes de pierres noircies par les derniers feux qui sévissaient encore se dressaient sur les berges du maigre cours d’eau croupie, transformées en champ de bataille, au milieu de poutres calcinées et de bardeaux charbonneux. Une bourrasque soudaine fit tournoyer les vapeurs noirâtres au-dessus du brasier mourant, ramenant des sons inquiétants et des odeurs de chair brûlée. Jaraell retint un éternuement et cligna des paupières, les yeux larmoyants. Son regard s’élargit d’horreur lorsqu’elle aperçut les corps de victimes étendus dans un dernier sommeil au seuil des tentes et des baraquements ruinés par les flammes. Certaines avaient le dos transpercé de flèches ou les membres arrachés… Elle porta la main à sa bouche, prise d’une furieuse nausée.

Seuls les Orriens avaient pu commettre ces actes de barbarie. Elle ne doutait pas que les visions de mort et de carnage qui flottaient devant ses yeux étrécis en étaient la plus ignoble manifestation. Un officier du Fort Trinité les avait pourtant mis en garde, tandis qu’il éructait ses ordres empressés en vue de l’assaut qui se préparait contre Izz-al-Din Sarayi. Il les avait informés – Nakhti et elle – des redoutables attaques de ces abominations, les informant de leurs raids incessants sur les terres qui jouxtaient la forteresse du Pacte. En vain. Ils étaient demeurés sourds à tout conseil, tant leur esprit était alors obsédé par l’issue improbable de cette quête. Une quête qui les avait autrefois menés à contacter un savant de la Main Mystique et qui s’était hélas ! soldée par un véritable échec. Ainsi l’étrange couple n’avait-il eu d’autre choix que de mener sa propre chasse. Ses propres recherches. Pendant des semaines. Des mois. Et le drame était survenu…

Un tressaillement. Inopiné. Brutal. Soudain pressée de quitter ces lieux de cauchemar, elle se redressa lentement et, courbée en deux, elle s’éloigna pour regagner le sentier tortueux. Malgré sa hâte, elle prit le temps de contourner le campement incendié par le sud avant de bifurquer à nouveau vers le nord-est.

C’est alors que protestations et cris d’outre-tombe retentirent…

Ils étaient trois. Trois êtres décharnés à l’allure menaçante, harnachés de cuir moisi, au-dessus de leur tunique de laine grossière, mitée, ou de leur cotte de maille aux anneaux de métal rouillé, rongé par l’acide. Armés de lances et de courtes épées, ils feulaient entre eux des imprécations incompréhensibles, crachaient leurs grognements spectraux. Peut-être que ces revenants n’étaient autres que d’anciens soldats tombés au combat sur ces terres maudites, à l’atmosphère délétère, et relevés par le pouvoir corrompu du Dragon ancestral… ? Peu importait. La compassion n’était pas au programme. Pour l’heure, ces créatures au visage putréfié, aux orbites agressives, semblaient avoir trouvé un divertissement plus stimulant et talonnaient l’Elonienne qui n’avait d’autre alternative que la fuite.

Le paysage défilait devant ses yeux irrités par des larmes d’angoisse, d’excitation irrationnelle et de colère mêlées. Collines funestes aux flancs ravagés, nues ou échevelées, et plaines cendreuses se fondaient en de glauques mélanges de tons et de couleurs. Elle ne distinguait rien de la piste torturée qu’elle suivait, son ouïe s’accrochant au bruit de succion de ses bottes sur la terre humide ; aux râles assourdissants qui s’échappaient des lèvres bouffies de ses poursuivants. Son pénible. Affolant ses nerfs. Elle était consciente de puiser dans ses dernières ressources mais de sa résistance, de sa volonté, dépendait sa survie. Un chuintement retentit et elle sentit un puissant courant d’air effleurer son oreille. Elle réprima un cri et osa un regard écarquillé par-dessus son épaule. Des flèches ! L’un de ses poursuivants était armé d’un arc. Un sifflement résonna, suivi d’un autre. Puis un autre ! Elle accéléra encore ses foulées erratiques, trébuchant, réajustant son équilibre in extrémis, le cœur au bord d’exploser, les muscles de ses cuisses échauffées par l’effort fourni. Désespéré.

Elle avisa alors une trouée dans ce paysage de roches et de ruines… là, une plage !

- En-co-re… un… eff… haleta-t-elle. Enc…

Jaraell sursauta soudain, comme prise au dépourvu. Ses lèvres abîmées s’arrondirent sous le joug d’un étonnement résigné. Ses mains moites se crispèrent et tout son corps se raidit. Une clameur de triomphe éclata, résonnant en échos de mort, tels les hurlements de loups en chasse. Et l’image d’un Loup affrontant un Serpent, et qui traversa inopinément les parois de son esprit enfiévré, fit naître un étrange rictus sur sa bouche pincée. « Malédiction ! » Un des projectiles l’avait atteinte, transperçant les chairs de son épaule droite à travers l’épaisseur doublée de son pourpoint de cuir et de métal fatigué. Malgré le choc brutal et la douleur cuisante, la jeune femme tint bon, sa fuite éperdue l’entraînant vers la langue de sable sur laquelle venaient s’échouer des vagues écumeuses à la teinte ténébreuse.

L’Elonienne pénétra dans l’eau, ses sens exacerbés irrités par la corruption et la puanteur qui s’en dégageaient. Sans réfléchir aux conséquences – l’urgence de la situation s’imposait à toute réflexion sensée ! – elle plongea et nagea, toussant et crachant. Elle nagea. Loin des morts-vivants. Loin de la côte barbouillée de brumes spectrales. Loin…

Découragés par cette vaine cavalcade, et maudissant leur proie qui venait de leur échapper, les créatures maudites abandonnèrent la poursuite et firent demi-tour.

Jaraell se réveilla en sursaut. Ce brusque mouvement lui arracha un cri de douleur qu’elle tenta d’étouffer en mâchouillant rudement sa lèvre inférieure. « Gnnn… » Elle pressa une main tremblante sur son épaule droite traversée d’une flèche. La pointe métallique scintillait d’une lueur létale à travers le cuir lacéré de son pourpoint gorgé d’eau, poisseux d’un sang noir, épais, qui ne cessait de suinter. Ses vêtements déchirés, humides, dégageaient des relents d’humidité et de moisissure. Son corps épuisé lui donnait des airs de pantin de chiffon que les vagues brumeuses, cruelles, s’étaient amusé à tordre en tous sens pour le rejeter, vulgaire marionnette dégingandée, sur une grève lointaine. La douleur était telle que ses sens étaient étouffés, étourdis, incapables de lui fournir le moindre indice sur l’environnement qui l’entourait. Et par quel troublant miracle, elle était encore en vie.

Enfin… peut-être plus pour très longtemps.

Les ailes de son nez pincées, un masque blême sur son visage piqueté de perles de sueur, la jeune femme prit une profonde inspiration et se força au calme. Elle sentait un froid glacial l’envahir, ainsi que des racines de givre s’immisçant dans ses veines. Et le ciel noir, veiné de flashes orageux, menaçants, tournoyait au-dessus d’elle en un manège délirant. La nausée la prit et elle ne put s’empêcher de vomir le peu qu’il lui restait au creux de son estomac malmené : de l’eau de mer. Elle frotta le fluide acide sur sa bouche et se redressa avec peine, des larmes de rage inondant ses yeux d’émeraude délavée.

La respiration saccadée, son dos raide plaqué contre ce qui restait d’une souche d’arbre, l’Elonienne arrêtait son regard fiévreux sur chaque mouvement suspect qui s’ébrouait dans son champ de vision restreint, flouté. Portant son poing à sa bouche, elle le mordit en gémissant. Allait-elle passer au-delà des Ténèbres ? Pas maintenant… Non ! Elle devait regagner l’Arche du Lion. Elle devait retrouver son oncle.

Son oncle. La jeune femme fondit en larmes puis lâcha un murmure coléreux en se crispant sous les élancements de la douleur qui lui vrillait le dos. Où donc était-elle ? Elle se souvenait avoir parcouru tant de lieues, traversé tant de plaines harcelées de morts-vivants, de forêts hantées d’ombres fantomatiques… d’avoir nagé, et lutté contre les courants. D'avoir repoussé de son esprit - de peur de devenir folle ! - la vision des horreurs qui pouvaient surgir des profondeurs insondables de cette mer aux eaux maudites. Tant de lieues… avant d’atteindre ces marais où le moindre arbre était une bénédiction pour se cacher aux yeux des Orriens et autres créatures de la même engeance.

Soudain, un mouvement, un bruit… à peine perceptible ! Jaraell se raidit davantage. Sa fièvre lui provoquait-elle des hallucinations ? Elle vacilla sur son séant et ses yeux fouillèrent la lisière où s’étendaient les frontières brumeuses des marais et d’où s’échappaient des odeurs de mort et de putréfaction mêlées. Sa main valide pressa contre son flanc, à l’abri sous le cuir du pourpoint, ce qui lui restait de cette fuite insensée : deux morceaux de parchemin – fruit pourri des recherches que Nakhti et elle avaient menées et qui les avaient entraînés jusqu’en ces terres lointaines.

Ce qui lui restait… Une grimace défigurant les traits de son visage assombri par la crasse et le sang, elle attendit, l’esprit submergé par le délire…


La nausée étreignit Jaraell, inattendue et brutale. Son corps se contracta et elle roula sur le flanc pour vomir derechef. Dans un râle plaintif, elle retomba sur le dos. Sa main valide s’éleva pour frotter le liquide bilieux sur ses lèvres exsangues. Un bruit, encore ! Elle se tendit, la respiration saccadée, et promena un regard trouble autour d’elle, essayant de distinguer la source de ces mouvements à la périphérie nébuleuse de son champ de vision limité.

Une exclamation étouffée, accompagnée de grincements discordants, de cliquètements métalliques, éclata sous la ramée chétive, maigre étendard de verdure transpercé des lances pourpres du crépuscule naissant. Frôlements de pas. Chuintements de voix… Elle était perdue ! Ses poursuivants avaient retrouvé sa piste ! Éructant leur victoire, ils brandiraient leurs armes et achèveraient leur œuvre de carnage et de mort… Elle se crispa.

- Nom de…
- Ache... vez-moi, sale lâche... souffla-t-elle, son regard fébrile posé sur la silhouette qui s’était approchée. Comme... vous... avez... tué tous ces... pau-vres... soldats…

Son cœur cognait comme un tambour. Deux ombres floues flottèrent au-dessus d’elle, déformées par la fièvre qui maintenait son esprit dans un étau de pesantes ténèbres. Des voix vibrèrent … combien étaient-ils ? Deux, trois ? Peut-être davantage ? De quoi parlaient-ils ? Du sort qu’ils lui réservaient… sûrement ? Mourir ainsi… si loin de tout… Sa tête ballotta sur le côté et un gémissement pitoyable s’échappa de sa bouche entrouverte.

- Tu... ez-moi...
- Hein !?! Mais on va pas vous tuer m'dame !

A peine sentit-elle la caresse de doigts rugueux éloigner les mèches poisseuses de son front brûlant… avant la douleur ! qui lui arracha un hurlement lorsqu’une main cassa l’empenne de la flèche fichée dans ses chairs. La souffrance fut telle qu’elle perdit connaissance. Des bras l’enlevèrent d’entre les racines de la vieille souche contre laquelle elle s’était réfugiée et l’emportèrent…

Un bourdonnement de voix voleta jusqu’aux oreilles de la jeune Elonienne lorsqu’elle recouvra ses esprits. Gémissant dans les dernières brumes d’un sommeil sans rêves, elle prit conscience d’une douce chaleur l’enveloppant et des lueurs ambrées s’invitèrent en un étrange ballet mouvant entre ses cils. Elle remua et la douleur se manifesta soudain en élancements et picotements désagréables autour de son épaule meurtrie. « Je suis en vie… » fut la première pensée qui bondit sous son front pâle. Sa tête dodelina sur le côté et, dans ce mouvement, elle devina la présence d’un épais bandage qui ceinturait une partie de son bras droit contre sa poitrine. Battant péniblement des paupières, Jaraell puisa dans le peu de vigueur qui lui restait… et ouvrit enfin les yeux, ne distinguant que les contours confus de deux silhouettes, l’une agenouillée près d’elle, l’autre adossée, bras croisés, contre ce qui paraissait être une porte.

Des doigts s’aventurèrent vers son visage pour en écarter les mèches qui le dissimulaient. Jaraell frissonna à ce léger contact et ses yeux se plissèrent sous l’effort de concentration, découvrant un homme d’âge mûr aux courts cheveux blonds et au visage constellé de tâches de rousseur. Deux petits miroirs d’eau grise étaient posés sur elle, curieux et bienveillants. L’Elonienne voulut parler mais sa langue était aussi épaisse et raboteuse qu’une grossière branche de bois sec.

- … soif… émit-elle dans un souffle, tentant d’humecter ses lèvres asséchées.
- J’apporte ça. Parlez-lui, capitaine Dessenar.
- Mon chirurgien est parti chercher de l'eau.

Une voix féminine. A l’intonation autoritaire, et calculée.

- Où... suis-je... ? murmura Jaraell avec difficulté.
- Sur le Providence.
- Le Pro… vi… ânonna l’Elonienne. Pro-vi… dence ?
- Le Providence. Mon navire. répondit sèchement l’officier. Vous avez eu de la chance. Des soldats de patrouille dans les Marais vous ont trouvée et amenée à notre comptoir. Nous faisons route vers l’Arche du Lion. Nous aviserons ensemble de votre sort, là-bas. Lorsque vous serez apte physiquement.

Le chirurgien – silhouette voûtée et trapue - réapparut au bout d’un court instant, tendant un verre d’eau à la convalescente. Malgré sa vue brouillée par son état de faiblesse, Jaraell aperçut enfin la femme. Une femme de grande taille. A la physionomie svelte, athlétique. Une longue chevelure brune. Des prunelles d’un bleu pâle. Les bras croisés, le port de tête altier, elle la considérait gravement, un étrange rictus étirant le coin de ses lèvres pleines. L’homme l’aida à boire en lui soulevant doucement la tête. C’est alors qu’elle constata que ce dernier portait des gants à la texture épaisse. A cette vision, son cœur manqua un battement et ses sourcils neigeux se froncèrent, tandis qu’une ombre troubla l’eau verte de son regard. Un regard entre suspicion et panique qui oscilla vivement de l’homme à la femme.

- Quelque chose vous perturbe ? interrogea doucement le chirurgien.

Une vibration imperceptible dans les inflexions de sa voix la dérangea. Un silence gêné s’installa… qu’elle ne brisa pas. Sans émettre le moindre son, elle bascula alors sur le côté et ferma les yeux fortement. Demeurant un court instant à l'observer, comme interloqués par son insolite comportement, le capitaine et son chirurgien n’insistèrent guère et l'abandonnèrent à sa solitude taciturne, la rumeur étouffée de leurs voix et de leurs pas décroissant dans les ombres de l’étroite coursive.

Un frisson glacé coula le long de sa colonne vertébrale, ainsi qu’un serpent visqueux. Elle replia ses jambes contre elle et se roula en boule sous les couvertures. Elle se sentait si perdue, si impuissante face aux tourbillons des événements en cours. Et elle ne pouvait qu’attendre la fin du voyage et le bon vouloir de ses hôtes. La panique qui l’avait brusquement étreinte s’estompa et elle finit par s’endormir, vaincue par la douleur et l’épuisement…